Spécialiste de musique

Pascal Anquetil

Journaliste, ancien responsable du Centre d’Information du Jazz

Voilà un vrai jazzman

Dans le monde aujourd’hui richement peuplé des accordéonistes de jazz, Frédéric Viale est l’un des secrets les mieux gardés en France. Trop bien gardé ! Pourquoi ? Sans doute en raison de son éloignement géographique à Cannes dans les Alpes-Maritimes. La quarantaine triomphante, l’accordéoniste azuréen, enfant du bal et fils émancipé du jazz, défend ici dans ce cinquième album sous son nom une certaine idée lumineuse et lyrique du Sud avec son halo de chaleur souvent teinté, comme il se doit dans les ballades, de douce mélancolie.

Richard Galliano a bien résumé les atouts de la personnalité artistique de Frédéric Viale : le tempérament, le sens musical et la détermination. On devrait ajouter une quatrième qualité : le bon et juste goût.

Il officie avec l’heureuse complicité du tromboniste péruvien Humberto Amesquita et du saxophoniste italien Emanuele Cisi (que nous avions découvert il y a quelques années grâce à Aldo Romano dans son disque “Because of Bechet”).

Dans le choix de ses partenaires (on pense à l’extraordinaire Nelson Veras dans « Les racines du ciel », son précédent album) comme celui de ses influences jaseuses. Un homme qui aime comme nous l’immense Eddy Louiss ne peut être mauvais. Un musicien qui affirme ouvertement dans ce disque son admiration pour des jazzmen pas assez reconnus comme Freddie Redd, Sonny Clark, Ike Quebec, Duke Pearson, Paul Chambers ou Kenny Barron fait preuve de culture, d’intelligence et de curiosité. Ce n’est pas si courant aujourd’hui !

Il y a dans le jeu de ce généreux du dépliant quelque chose qui participe intimement du palpitant. Le soufflet au cœur ! Sur un rythme souple et régulier de battement cardiaque, son accordéon Pigini s’enfle et se dégonfle, vogue et vague, ondule et ondoie, « onde où l’onde s’enroule à la houle d’une onde », comme l’a superbement écrit le poète Pierre Louÿs.

A chaque fois qu’il joue et improvise, Frédéric Viale sait ouvrir l’espace, enfiévrer le temps, inventer une qualité de respiration ample et large. Sous ses doigts, la « boîte à frissons » se fait ainsi « boîte de jazz ». Voilà un vrai jazzman qui jamais ne jaspine, jamais ne cède au vain vertige du débagoulis de notes comme le font trop de musiciens bavards qui n’ont rien d’urgent à dire mais l’expriment longuement. Viale, va lui, au contraire directement, sans fioritures, à l’essentiel. Et toujours, avec swing.♦